"Des forêts à perte de vue, interrompues par des rivières et des marécages, c'est ainsi que, il y a 2000 ans, le voyageur se représentait probablement la plus grande partie de l'Europe centrale." Guide des écosystèmes de la terre.
Juin 2019, nous nous préparons pour rendre visite à une région de la Pologne qui garde secrètement une beauté surprenante : la forêt de Białowieża, localisée à l’est de la Pologne, accolée à la frontière de la Biélorussie.
Arrivés à Varsovie, on ressent une atmosphere calme et sereine. La ville est très belle, les infrastructures sont récentes, l’architecture est un mélange de différents types de construction : majestueux palais, immeubles de l’ère soviétique, gratte-ciels.
Le ciel est bleu le soleil brille et la température est parfaite entre 20 et 25 degrés (avec un pic de chaleur à 30 degré). Nous apprenons un petit peu de Polonais : dzień dobry : bonjour, puis dziękuję [djen couyè] : merci.
Nous sommes maintenant en route pour la direction de l’est du pays et nous nous dirigeons vers la forêt primaire de Białowieża.
En quittant l'aéroport de Varsovie, nous roulons sur des routes droites en plein milieu de vastes plaines dépourvues de forêts. Il n’y a aucun relief autour de nous. L'altitude moyenne de la Pologne est de 173 mètres.
La route est complètement rectiligne et quelques arbres commencent à apparaître ici et là, puis des petites forêts. Enfin en s’approchant de la destination, nous voyons apparaître de plus en plus de forêt jusqu'à pénétrer dans une immense forêt verdoyante, l’entrée du parc de Białowieża.
Notre première balade dans les bois pour découvrir cette fameuse forêt vierge. Ce que l’on remarque tout de suite dans une forêt primaire (forêt originelle qui n’a jamais été détruite ou exploitée) c'est que la forêt primaire est beaucoup plus touffue, beaucoup plus verte et les arbres sont bien plus hauts. Le sol est complètement recouvert et enveloppé de végétations de toute forme de tous les verts imaginables.
Au cœur de la forêt primaire, la lumière joue sur les feuilles tout en retombant sur le chemin comme une pluie scintillante qui fait ressortir tous ses éclats de vert. Les arbres sont proches les uns des autres. Les carcasses de tronc d'arbre qui sont juchés par terre témoignent de la force de la nature.
Un arbre mort accueille bien plus de vie que lorsqu'il était vivant. C'est ce que m'expliquera le guide Zenon le lendemain. L'arbre mort boucle entièrement le cycle biologique et améliore le fonctionnement de l'écosystème par le recyclage des matières organiques et minérales.
Une pluie de lumière tombe du soleil jusqu'au sol. L’odeur est subtile, douce et intense par moments, légèrement poivrée et très florale. Je marche de parfum en parfum entre passage d'ombre et éclats de lumière, avec le sentiment qu’une étincelle de bonheur jaillit en moi.
11 juin 2019
Ce matin je me suis levée à 5h pour aller rejoindre un guide naturaliste, biologiste, ornithologue. Le guide que je vais rejoindre s'appelle Zenon Lewartowski. Lorsque j'arrive au point de rendez-vous je vois arriver un homme âgé au sourire rassurant, il me fait penser à mon grand père avec ses larges pantalons en velour et son bob blanc sur la tête. Il porte plusieurs jumelles autour du cou de différentes tailles, et tient un guide des oiseaux à la main, il semble avoir entre 70 et 80 ans.
Les présentations sont faites et nous voilà partis en direction de Budy Lesné, une partie de la forêt qui n'est pas strictement réservée, il est donc possible d'y accéder librement sans ticket. La partie du parc qui est strictement protégée n’est accessible qu’avec un guide et donc payante. Zenon souhaite m’emmener hors de la reserve strictement protégée, là où lui aime observer la nature et où il va se ressourcer, le territoire de bisons, l’habitat des lynx et des élans. Zenon passe 15 mins chaque jour à observer la nature, prendre des notes. Comme il dit, ça lui permet d’aller à l’essentiel. Sa phrase me surprend, m’inspire et reste en moi encore longtemps après notre rencontre.
En peu de temps on rentre dans la forêt et on avance toujours pour s'enfoncer encore plus dans cette forêt magnifique et luxuriante. Je n'ai jamais vu une forêt d'un vert si intense, des arbres aussi puissants et des sols aussi noirs de fertilité.
On s'est arrêtés plusieurs fois devant des monuments. Des chênes si immenses et si larges que le simple fait de l'approcher rend humble. Des arbres d'une hauteur de plus de 45 m et une circonférence au tronc de 9m.
Au moment de la construction de notre dame ce sont des centaines de chaînes de cette taille là qui ont été coupés pour faire le plafond de la cathédrale. La rénovation de la cathédrale est un problème maintenant puisque nous ne pouvons plus couper d'autres arbres de cette taille et de cette force, ils sont protégés.
Au pied de chaque grand chêne se trouve un un tapis de bébés chênes prêts à grandir. Seulement un chêne sur 1000 de ces jeunes pousses pourra devenir un grand arbre.
On entend la multitude des chants d'oiseaux dont le pigeon des bois, les pics (pic à trois doigts, pic tridactyle), le rouge gorge etc..
Nous avons croisé de nombreux épicéas morts. Sur leur flanc, les racines hors de terre à la verticale, ces arbres ne tiennent pas le choc. D'après Zenon, dans 3 ans il n'y aura plus d’épicéas, la forêt est trop sèche, et ces arbres aux racines courtes et fragiles s'effondrent un à un.
Zenon me raconte la forêt d'il y a 40 ans, elle était sombre, humide et obscure. La forêt avait les racines dans les marécages et on trouvait de nombreux trous d'eau. Il aurait fallut avoir des bottes pour s'y aventurer. Maintenant on y va en baskets, elle est sèche !
Sur le chemin nous rencontrons des traces d'animaux. Empreintes de cerfs, de bison (profondes et larges, on imagine le poids de l'animal). Puis leurs excréments, celui du bison, similaire à la bouse de vache. Celui du cerf, version plus grosse que celui du chevreuil.
Zenon m'emmène jusqu'au cours d'une petite rivière et m'explique que nous arrivons vers l'habitat du lynx, des Elk et des bisons. Cette zone est très humide d'un vert extraordinaire et d'une densité impressionnante. Les fougères sont une véritable œuvre d'art à regarder.
Elles ont des formes presque graphiques. Les grenouilles sautillent, une souris passent sous le tronc ou je me suis assise, les écureuils grimpent à toute allure. Et les autres animaux sont présents, ils sont là, mais ce sont eux qui nous observent. Nous n'aurons pas le privilège de voir leur mystérieuse beauté. Mais quelle chance de rendre visite à leur habitat, leur lieu de vie.
Cette visite dans le parc de Bialowedza a été une magnifique expérience. Les habitants de ce village ont un respect profond pour leur forêt. En arrivant à Varsovie nous découvrons que des millions de personnes vivent, comme dans toutes les autres villes d'Europe, dans la consommation permanente. C'est un contraste fort, le paradoxe perpétuel de l'être humain.
La forêt primaire abrite 15 lynx et 200 loups. En 2000 ans, la forêt qui s'étendait sur toute l'Europe est maintenant réduite à 125 000 ha.
Pourquoi ? En 1950 nous étions 3 milliards d'individus sur terre et maintenant nous approchons les 8 milliards. Notre civilisation est devenue énorme, le nombre d’habitants sur terre continue de croître et nous nous étalons de plus en plus en repoussant la nature toujours plus loin.
"Des forêts à perte de vue, interrompues par des rivières et des marécages, c'est ainsi que, il y a 2000 ans, le voyageur se représentait probablement la plus grande partie de l'Europe centrale." Comment se la représentera t-il dans moins de 100 ans?